En bambe

20/09/2018

Et je suis de retour, pour vous jouer un mauvais tour !
Début de D3 les enfants, on commence les choses sérieuses.
J'ai bien commencé la deuxième année d'externat avec une garde de 24h aux urgences qui était quand même bien intéressante et pas mal pour se remettre dans le bain.
C'est-à-dire qu'après 2 mois de (relative) glandouille, balancer au chef du service que le box 3 vient parce qu'il a mal au ventre, ce n'est vraiment pas une bonne façon d'entamer 24h sans dormir.
Alors oui il m'a fallu un petit temps d'adaptation pour réécrire « douleur épigastrique non spontanément résolutive » au lieu de « mal en haut du ventre qui ne passe pas ».
En avant donc pour les anecdotes !


En bambe

Un cas classique, je suppose. Une jeune femme de 24 ans -appelons là Beverly- qui a trop bu, et peut-être un peu fumé, quoi qu'elle m'en dise si on en juge par ses yeux rouges.
Elle s'est juste cassé la gueule dans les escaliers et a besoin de points de suture.
Elle veut que Marjorie reste avec elle pendant l'opération, mais l'infirmier est formel, pas d'accompagnant, on ne veut pas se retrouver avec un malaise en plus sur les bras.
Beverly n'est pas contente, elle tape du pied, elle dit qu'elle ne veut pas rester ici et que de toute manière, elle a même pas mal.
Du calme ma petite Bev, quand l'effet de l'alcool se sera dissipé, on ne voudrait pas que tu te rendes compte de la douleur atroce des fractures de mandibule, pas vrai ?
Beverly se rallonge, on lui fait les points. Tout va bien.
Il faut ensuite lui faire souffler dans le ballon d'alcoolémie et checker son immunité au tétanos. On se retourne et pouf ! Voilà que Beverly a disparu !
Marjorie reste bêtement debout dans le couloir, la regardant s'éloigner tant bien que mal en "courant", arguant qu'elle est impossible quand elle commence.
On lui court après, avec mes deux coexternes, une infirmière et deux mecs de la sécu. Trop tard, elle a franchi le seuil de l'hôpital, on a pas le droit juridique (tout de suite un mot qui fait peur) de sortir. Elle nous nargue depuis l'autre trottoir, elle se roule par terre en prenant des selfies.
On rigole qu'à moitié de ce spectacle ridicule, ça correspond quand même à une fugue, et ça fait plein de paperasse à remplir.
Finalement Marjorie se décide à la ramener de force devant le petit comité que nous formons à l'entrée de l'hôpital :
« Mais genre y'a touuuut le CHUUU qui est sorti ou kwaaaaa ? EN BAAAAAMBE »
Il est 5h du matin, il fait - 3°C dehors, on grelotte dans notre pauvre uniforme d'étudiant hospitalier, mais je crois qu'on a jamais autant ri.
Tout s'est bien terminé pour Beverly, au final.

La modération les chéris, pour Beverly c'était rigolo, mais on a vu des gens bien plus imbibés, et croyez-moi, c'était beaucoup moins drôle.


Perte de foi

Vous connaissez l'expression 'au mauvais endroit au mauvais moment' ? C'est exactement ce qui s'est passé ce soir-là pour Martin. Il avait un peu bu et s'est fait attaquer par une bande de 4 mecs qui ont vu une proie facile.
Résultat des courses : des bleus un peu partout, des égratignures sur le visage et les bras, plus aucun papier et une foi en l'humanité toujours intacte.
Je te respecte Martin, pour pouvoir dire après s'être fait frapper et voler que « s'ils ont fait ça c'est qu'il y a une bonne raison ».
Non, Martin, une raison pour attaquer quelqu'un n'est jamais une bonne raison. Ce sont des enfoirés qui préfèrent voler que d'aller se débrouiller pour survivre autrement. Il existe des milliers de gens qui ont du mal à raccorder les deux bouts, et ce n'est pas pour cela qu'ils deviennent tous les délinquants.
La violence, c'est une solution de facilité, tu n'as pas à leur chercher d'excuses.
Il sourit à mon sermon, d'un air las. Avant que je quitte la salle, il me lance : « Vous savez quelle procédure judiciaire je peux lancer maintenant ? Parce que, je n'ai plus mes clés pour rentrer chez moi... »
Aïe, petit déchirement au niveau de mon ventricule droit.
Je suis tellement désolée Martin, désolée de tout ce qui ne va pas dans ce monde.

Et ainsi je perds la foi chaque jour un peu plus dans les humains, quand je vois les atrocités dont ils sont capables.


En bombe (une vraie bombe ?)

C'est un monsieur que l'on a trouvé dans la rue errant et menaçant les passants. Au début, il avait l'air tellement... normal.
Je suppose que pour lui, c'est nous qui sommes anormaux.
Au début, il nous a dit d'appeler le centre médicopsychiatrique (CMP) pour qu'on les informe qu'il va bien et pour les remercier de tout ce qu'ils ont fait pour lui.
Jusque là ça allait.
Jusqu'à ce qu'il nous dise que le CMP avait organisé un anniversaire pour lui avec Bertrand Cantat. On a commencé à avoir quelques doutes. Mais pourquoi pas, Make a Wish ramène bien des célébrités pour les enfants malades !
Par contre, quand il a commencé à nous supplier d'appeler la police parce qu'il s'était fait voler le sac contenant la bombe qui devait exploser au stade le soir-même, on a arrêté de chercher.
Petit froncement de sourcils de l'interne. « Ouiiiii monsieur, on va appeler la police »
Il sait qu'on ne le prend pas au sérieux, il ne comprend pas.
« Je vous en prie, des gens vont mourir si vous ne faites rien ! »
Je sais qu'il ne faut pas encourager les psychotiques dans leurs délires, mais il avait l'air tellement paniqué, tellement convaincu que devant sa détresse, je n'ai pas eu le coeur de lui refuser. Je lui ai assuré qu'on appellerait la police, et que personne ne mourrait.
Ai-je eu tort de faire cela ? Vaut-il mieux être en paix dans sa maladie que torturé dans la réalité ?
L'ampoule de Valium a réglé pour moi tous mes problèmes de communication.


Cancer et damnations

C'est une de ces situations qui me font parfois regretter d'avoir choisi médecine.
Elle, c'est une femme de 45 ans, en forme. Elle vient aux urgences pour une petite boule dans le ventre. Ça peut être une bête hernie, mais ça peut être bien plus grave.
Elle veut qu'on s'occupe rapidement d'elle. Elle est censée être partie chercher des sandwichs, on l'attend.
Pourquoi mentirait-elle ?
Il se trouve que son mari est en phase terminale d'un cancer. Elle ne veut pas l'inquiéter, lui qui est déjà en si triste état. Alors elle dit être allée chercher des sandwichs.
Ils ont rendez-vous avec l'oncologue le lendemain, elle sait que les nouvelles ne seront pas bonnes. Il refuse de rentrer à la maison, il ne veut pas que le domicile familial ne devienne l'endroit maudit d'où il a laissé seuls une femme et un fils.
Elle est si forte, et moi je suis si faible devant ce spectacle.
Je ne sais pas quoi dire, je ne sais jamais quoi dire devant la tristesse des gens. Minimiser leur souffrance serait terrible, leur dire que l'on comprend serait déplacé.
Alors je reste debout près d'elle, je lui tiens la main, je me tais.
Parce qu'aucun mot ne veut sortir, parce qu'aucun mot ne saurait être suffisant.
Je reste debout, et je me tais.


Quel est mon but dans la vie ?


On reste dans une soirée de déprime avec une femme qui a fait une tentative de suicide. C'est la première fois que j'y suis confrontée, et je ne suis pas très à l'aise.
Elle parle lentement, la voix pâteuse des 60 comprimés de Seresta qu'elle a avalés avec de l'alcool.
Je suis restée 45 minutes avec elle. Elle m'a raconté sa vie. Une vie tellement, tellement triste. Une vie d'abandon, de déception, de tristesse et de malheurs divers et variés. Elle ne veut plus vivre, elle n'a plus rien qui l'intéresse. "Quel est mon but dans la vie ? Aucun en fait."
J'essaie de lui donner des idées de changement, mais je n'ai jamais fait de psychiatrie ni de psychologie, ce que je dis ne sert à rien. J'ai l'impression de ne servir à rien.
Je me sens gagnée par sa lassitude contagieuse, à quoi bon parler ? Je secoue la tête, j'essaie de reprendre mes esprits, mais elle s'est endormie.
Sa tension est stable.
Alors enfin je la laisse dormir, l'abandonnant sans doute dans un des seuls instants où ses démons la laissent tranquille.

Presque Docteur - Kinesine
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