J'ai hâte de te voir vieux, Docteur.
J'ai hâte de te voir vieux, Docteur.
Il
y a beaucoup de types de médecins qui existent. Mais aujourd'hui, je
vais parler de ceux qui se croient au-dessus de tout. Pas seulement des
hommes, mais aussi de la vie, de la maladie, de la mort et pourquoi pas,
même, de Dieu.
Je
n'ai rien contre le médecin dont je vais parler, il explique très bien
aux externes, il est gentil, il est drôle, il ne nous dénigre pas à tort
et à travers lorsqu'on se trompe.
Peut-être qu'il s'est créé une carapace contre tout ce qu'il voit tous
les jours, ce qui explique sa désinvolture. Peut-être qu'il a peur de
finir comme les malades qu'il soigne et se moque en attendant de subir
lui-même ce sort. Mais j'estime que même si on a choisi d'enfouir son
humanité pour survivre, il ne vaut mieux pas le montrer.
Il
y avait dans le service une mamie qui est arrivée pour un quelconque
problème qui la rendait très agitée, confuse et incontinente. Alors oui
Docteur, elle vous a mal parlé, oui Docteur elle ne peut pas répondre
combien de comprimés de Tramadol elle prend, oui Docteur elle vous a mis
un peu de caca sur votre jolie surblouse, mais Docteur, on ne peut pas
dire ça. Même énervé. On ne peut pas dire que les vieux,
c'est comme les chiens. Qu'il faut les
euthanasier.
J'ai
hâte de te voir vieux, Docteur, quand tes jambes ne répondront plus à
tes ordres, quand tes leucocytes ne t'allègerons plus le poids d'une
vilaine grippe, quand ton cœur ne te laissera plus grimper les
escaliers, quand tes poumons t'essouffleront lorsque tu iras acheter ta
baguette du dimanche, quand ton cerveau oubliera toute cette érudition
dont tu te targues d'être fin connaisseur, quand tes enfants te
laisseront en maison de retraite en attendant ton héritage, quand la vie
t'aura essoré de tout espoir, on verra si, comme tous les vieux de la planète, tu ne reviens pas un peu agité,
confus et incontinent de ce si long voyage. Juste un peu.