La fin du nerf (a.k.a la fin d'une ère)
Un jeu de mot de qualité supérieure pour commencer ce long post...
J'ai fini aujourd'hui mon stage en neuro. C'était long mais vraiment bien (sans sous-entendu), je ne regrette rien (comme Edith).
Je viens juste raconter les dernières anecdotes qui me restent. En plus de l'hôpital de semaine, on va aussi aux consultations, c'est-à-dire on suit les grands professeurs tels les canetons leur maman quand ils rencontrent les patients comme en ville.
Sophie
La première patiente que j'aie vue, -je vais l'appeler Sophie-, avait une maladie inconnue qui détruisait son cervelet. C'est quand même un peu la base de l'équilibre, donc pour marcher autant dire que c'est pas encore ça. Sophie a pourtant, par un mécanisme inconnu de plasticité cérébrale, réussi à garder une marche à peu près normale. Elle mène une vie à peu près normale, elle travaille et elle est volontaire au Secours Populaire. Elle dit que les gens sont gentils là-bas, qu'ils s'en fichent pas mal que tu ne marches pas trop droit, tu es là pour aider les autres et c'est tout ce compte. Elle essaie de vaincre son embrassement en société, elle qui au début ne supportait pas le regard des gens trop stupides pour se rendre compte du malaise qu'ils créent.
Je l'ai écoutée parler de ses difficultés, de tout ce qu'elle a dut surmonter et j'ai eu honte. J'ai eu honte de me plaindre de ma peau grasse et de mes kilos en trop. Qu'aurait donné Sophie pour avoir mes grosses fesses en échange d'un cervelet ? Tout l'or du monde ne serait pas suffisant. Toi tu es là, avec ta marche laborieuse, avec tes larmes derrière ton grand sourire de façade, et pourtant tu aides les autres dans le besoin. Je trouve que tu es une personne extraordinaire. Je m'excuse Sophie, même si tu ne m'as jamais entendu me plaindre, je m'excuse tout de même, devant toi et tout ceux dont le corps ne fonctionne pas correctement. Vous avez tout le mérite et le courage de supporter cette difficulté, la pire de toutes.
Je n'ai pu te dire que 'Bon courage', à la fin de la consultation, c'est dérisoire, mais j'espère que ça t'auras fait plaisir quand même.
L'enthousiasme n'a pas d'âge
Une toute petite histoire, comme le monsieur dont je vais parler. Un formidable vieil homme. Il a 80 ans et un parkinson qu'il se traîne depuis des années et des années. Il a encore la joie de vivre. Il drague la neurologue et l'infirmière. Il blague sur ses blocages. Il plaisante sur ses pertes de mémoire. Il sourit à ses tremblements. Il rit à ses problèmes de constipation. Il s'amuse de sa femme qui l'engueule parce qu'il ne met pas ses chaussons fermés pour éviter les chutes.
Il se moque de sa maladie et de la liberté qu'elle lui retire chaque minute qui passe. Il refuse de la laisser lui prendre tout ce qu'il lui reste. Alors il glousse, et prend ses cachets.
Erreur sur la personne
Quelle est la probabilité d'avoir le même prénom, le même nom et la même date de naissance ? Je ne sais pas, mais ça doit être assez faible. Et pourtant, c'est ce qui est arrivé à cette femme, à qui l'on a demandé les antécédents. Elle a eu une hystérectomie complète à 40 ans. Ça veut dire on retire l'utérus. Quand même. Manque de bol, ce n'était pas elle qui devait être opérée mais son homonyme. Alors oui, c'est bien de demander avant une opération si elle s'appelle bien Mme Machine Dupont née le 12/04/1965 mais si effectivement ça correspond à sa description, c'est mal barré. Elle se retrouve donc sans incubateur d'embryon alors qu'elle n'a jamais eu d'enfant, ça pique un peu pour l'hôpital.
Seul côté positif : elle n'aura jamais de cancer de l'endomètre.
Il ne lui reste qu'à voir les bons côtés des choses.
Transhumanisme
Une anecdote digne des meilleurs films de sci-fi, en direct sous mes yeux en consultation. C'est un patient qui a un tremblement essentiel, un tremblement inné, qui se transmet dans la famille, apparaissant souvent jeune. Son tremblement à lui a commencé très tôt, vers 10 ans, ce qui est assez rare. Il a résisté à tous les traitements qu'on lui a donné et il ne restait plus qu'une seule solution : la neurostimulation. La pose des électrodes se fait au bloc bien sûr, c'est une très longue opération, qui peut durer jusqu'à 6 heures. Le patient reste éveillé, c'est primordial. On met une anesthésie locale sur le crâne, ainsi on peut l'ouvrir sans douleur. Ensuite, c'est une autre paire de manches, il faut faire glisser deux petites minuscules électrodes au centre du cerveau, sur le Thalamus, qui régule les tremblements. Une fois les électrodes en place, on demande au patient de tendre les mains devant lui : les tremblements apparaissent puis le neurochirurgien fait passer différents courants dans le Thalamus (en millivolts) jusqu'à trouver celui qui arrête ou calme le mieux le tremblement. Puis on referme, les deux électrodes sont reliées à un boitier placé dans la poitrine, comme un pace-maker, juste au-dessus du cœur. Si le patient est bien répondant, il est guéri, c'est magique.
Tous les 6 mois, il faut venir faire contrôler la pile et le voltage, à augmenter ou diminuer. Pour cela, le neurologue a une espèce de lecteur de carte bleue relié à un capteur magnétique que l'on pose simplement sur la peau au niveau de l'endroit où est implanté le boîtier de commande des électrodes.

Notre patient tremblant depuis qu'il a 10 ans est venu en tremblant de tous ses membres. Le neurologue lui a demandé pourquoi il a éteint son boîtier. Il a répondu qu'il avait toujours vécu avec son tremblement. Que pour lui c'était la normale, de trembler. C'est quand il ne tremble pas qu'il se sent étrange. J'ai trouvé ça fascinant.
Mais bon, il a avoué que ce n'était pas vraiment pratique pour sa femme de dormir à côté de quelqu'un qui a l'air constamment de faire une crise d'épilepsie généralisée.
Le neurologue a simplement posé le capteur sur sa poitrine, il a touché l'écran à deux reprises, et le tremblement s'est arrêté. Comme ça.
Il a augmenté le nombre de millivolts, et mon patient a senti des fourmis dans la bouche. Il l'a éteint à nouveau, le voilà qu'il se remet à secouer dans tous les sens.
J'étais sans voix. Quand on me parle des progrès de la médecine, j'imagine Alexander Fleming, j'imagine le vaccin contre la variole, j'imagine les radiothérapies. Mais jamais je n'aurais cru voir un tel traitement, dans le genre immédiat. J'étais abasourdie et en même temps un peu mal à l'aise.
Cet homme avait l'air d'un robot entre les mains d'un savant fou.
On se demande parfois pourquoi les médecins se prennent pour Dieu. C'est sûr qu'il y a de quoi se sentir puissant. Aujourd'hui, deux électrodes et on arrive à contrôler des tremblements. Qui sait ce que l'on pourra faire demain ? On pourra peut-être connecter les cerveaux en Bluetooth ? On pourra réaliser les exploits de Walter Bishop pour de vrai ?
Le progrès de la science, c'est très important, pour rendre la vie des gens meilleure. Mais c'est aussi une source de pouvoir qui peut être très dangereuse si utilisée à mauvais escient... Je ne dis pas ça parce que j'ai regardé beaucoup de films de science-fiction. (Ou peut-être que si un peu)
Mais ça me fait un peu peur.
Mon premier toucher rectal
(On dirait le titre d'une BD Max et Lili)
Comme tu peux le voir, j'ai gardé le meilleur pour la fin !
C'est un vieux patient qui a eu l'honneur de prendre mon incompétence bien profond, si je puis dire. Il est frontal (désinhibé) et m'a fait des avances un peu malaisantes lorsque je lui faisais son ECG.. Autant dire que quand l'interne est entrée dans la salle et m'a dit :
"Je suis désolée, mais je vais te donne la mission d'externe la plus désagréable qui soit."
J'ai cru que c'était un truc chiant du style photocopier recto verso 50 pages sauf les pages 12, 23, 36 et 47 en pleine page. Mais non, c'était un TR.
Au début, j'ai buggé, moi qui y avait échappé jusque là, j'ai senti mes yeux s'embuer d'une façon inexplicable, je ne voulais pas le faire. J'ai dit que je n'en avais jamais fait.
Elle m'a dit qu'il fallait bien commencer. Et c'est vrai. J'ai commencé à me braquer, j'avais oublié toute mon anat, je ne savais plus dans quel sens était la prostate et le rectum, une véritable catastrophe. Elle a du sentir que je paniquais, puisqu'elle m'a accompagnée.
En fait, c'était très facile, et finalement pas si terrible. Bon, j'avoue, j'ai eu de la chance, comme il était en pleine crise démentielle, il ne s'est pas trop rendu compte de ce qu'on lui faisait par derrière (encore, si je puis me permettre). Sur quelqu'un de bien conscient et orienté, ça doit pas être la même ambiance... 😅
J'ai bien senti la prostate, j'ai appuyé dessus, pas de réaction, pas de prostatite. Pas de prostatite, pas de traitement. Pas de traitement.... pas de traitement.
Tout est bien qui finit bien !