La promo Pangolin

Je vois des D4 qui sont morts. Ils vont et ils viennent comme n'importe qui. Et tu les vois souvent ? Tout le temps...

Ça fait longtemps que je n'ai pas écrit d'article. En même temps, la D4. Ai-je réellement besoin d'une autre excuse ?

Quoi qu'il en soit, personne dans notre promo de 9500 étudiants ne pouvait s'attendre en rentrant en dernière année du 2e cycle à la catastrophe qui nous attendait patiemment, au détour d'un étrange bol de soupe d'Extrême-Orient.

J'ai personnellement l'habitude d'être confinée, je préfère travailler à la maison qu'à la BU, bien que je m'imposais une journée BU par semaine pour voir les copains, changer d'air et aller aux confs de la fac. Être tout le temps à la maison, c'était mon quotidien, et ça ne me dérangeait pas. Enfin, tant que c'était mon propre choix. Être enfermée contre mon gré, là par contre, comme pour tout le monde, ce n'est pas très agréable.

Lorsque le confinement total a été annoncé, en ce fatidique jour du 17 mars, le 2e jour des ECNi blanches, je me suis dit que ça irait, 2 semaines confinée, puis stage au mois d'avril, aux urgences. Ce serait mon dernier stage d'externat, et seuls les 6e années sont autorisés à le faire, puisque nous nous voyons octroyés un certain degré de responsabilité enfin mérité.

Sauf que voilà, enfer et damnations, le stage du mois d'avril m'a été retiré du plateau alors que je tendais déjà la main vers l'appétissant stéthoscope en entrée. Nous sommes venus, mes 7 co-externes et moi, à 9h le 1er avril, et on nous a gentiment renvoyés chez nous. Dès lors, c'est devenu plus compliqué de se concentrer sur les cours. Une avalanche de mauvaises nouvelles tombaient les unes après les autres, des classements biaisés aux ECNp, puisque passés à domicile en pyjama Bob l'Éponge, une anonymisation frôlant le ridicule (moins anonymisé que ça, le CNG aurait intégré nos mots de passe netflix), puis une erreur de coefficients, nouveau classement, des rumeurs de déplacements des ECN et enfin la pire nouvelle de toutes : les ECNi déplacés du 6 au 8 juillet. En conséquence des stages d'été de 15j temps plein, peut-être la seule bonne nouvelle du lot.

Pour l'instant je n'ai pas été réquisitionnée, mais un changement d'activité me ferait sans doute du bien à ce stade. Encore 67 jours à tenir d'ici la date fatidique, sans mettre un orteil dehors, puisque ce n'est pas demain la veille que la contre-BU virtuelle sur discord/skype/zoom/facebook va s'arrêter de tourner. Tout mon soutien à ceux qui ont des connexions internet pourries, I feel you bros.

Ce que je pense du déconfinement, de la chloroquine et autres allégations concernant une hypothétique origine manipulée à partir du VIH du Covid-19 ? Je m'en fiche. Et j'en ai assez des fake news, des pseudo-scientifiques qui s'improvisent médecins sur les réseaux, les fils whatsapp avec l'oncle qui envoie une sombre vidéo youtube vantant les effets antivirus du mélange ail-cumin-feuille de ginko que le gouvernement nous cache, j'en ai assez. J'ai atteint une certaine forme d'émoussement affectif et intellectuel à toutes ces choses. Je n'ai qu'une seule hâte, c'est que tout se termine, enfin.

Tout ce que je peux dire, c'est vérifiez les sources, toujours, et ne croyez pas le premier clown qui vient vous baver dans les étagères qu'il faut boire 5L d'une potion magique pour survivre.

Je tiens juste à remercier le professeur Hervé Devilliers (aka Pr. Geek) pour le temps qu'il prend pour nous faire de la LCA (vade retro raoultas), et qui nous a remonté le moral en nous rappelant que, bien plus tard, on pourra raconter fièrement à nos enfants la pandémie (en l'exacerbant pour lui donner des airs de Fallout) et le fait que l'on est la promo Pangolin. Celle qui a survécu.

Un peu comme les Harry Potter du monde médical, et ça c'est la classe un peu.

Enfin, pour vous aider à relativiser sur la situation actuelle, je vous raconte une histoire bien triste que m'a rapporté un ami en stage en pédopsychiatrie :

C'est une petite fille de 6 ou 7 ans, appelons-là Camille, qui est amenée par les gérants de son foyer d'accueil parce qu'elle se fait vomir. Camille est pleine d'enthousiasme et de vie, très éveillée, elle fabrique des objets assez réalistes avec ses blocs de lego trouvés dans le bureau de consultation du psychiatre. Elle sourit, elle appelle souvent les infirmières "Maman", fait des câlins, s'accroche aux jambes des soignants. Camille a un immense sourire, et tout le monde s'abreuve de ce bonheur infantile, simple et absent de la morne vie adulte. Mais que cache-t-elle derrière ce sourire ? Que cache une si jeune enfant de si terrible pour se faire vomir ?

Il se trouve que la mère de Camille est une travailleuse du sexe, Camille est la possible/probable fille d'un des clients. Le proxénète en charge de la mère n'a pas semblé enclin à garder un mioche dans ses affaires, la mère ne s'est pas opposée à sa volonté. On a sauvé Camille d'un sombre destin en la mettant en foyer. Cependant la petite fille veut sa mère. Elle veut sa mère terriblement, elle a peur de la perdre pour toujours, et le manque affectif qu'elle ressent explique mieux les effusions de câlineries à l'hôpital psychiatrique. Mais cela n'explique pas les vomissements provoqués. Il faut se mettre à l'échelle de la logique des enfants pour cela.

Pourquoi donne-t-on de la soupe aux enfants ? C'est pour grandir, tout le monde le sait. Mais si je n'en mange plus, je ne grandirai plus, et Maman ne vieillira donc plus non plus. Le remède contre la mort, le secret de l'immortalité, comme beaucoup de choses en ce moment, se trouverait-il encore une fois dans les volutes d'un bol de soupe ?

Mange ta soupe Camille chérie, peut-être trouveras-tu entre 2 cuillères de ce singulier breuvage la sérénité pour pardonner ta maman.