Une Semaine aux Urgences

Je vais pas vous raconter tout ce que j'ai vu en une semaine aux urgences, mais croyez-moi ça vaut le coup d'oeil. Juste quelques petites anecdotes, qui je pense méritent le détour ;)
Vous avez dit syndrome frontal ?
C'était un monsieur qui avait été vu au déchoc 2 semaines plus tôt, très gentil et courtois, pour un TC. Il revient nous voir aux urgences pour un trouble du comportement. Monsieur n'est plus reconnaissable, Monsieur n'est pas content, Monsieur insulte le personnel médical, l'hôpital et le Bon Dieu, Monsieur semble avoir un joli syndrome frontal. On s'est demandé s'il n'avait pas saigné en fait, même si le scan n'avait rien donné. Il a eu un petit coup de foudre pour ma coexterne je pense, et curieusement, elle n'a pas été très emballée. Il faut dire que quand on vous pousse contre un mur en vous disant "Vous inquiétez pas je vais pas vous violer"... ça inspire pas trop trop confiance. Bref, on a du lui donner du Valium soluble dans un verre d'eau mais comme il n'arrêtait pas de parler, difficile de lui faire avaler quoi que ce soit. Du coup, on a eu l'idée de lui faire trinquer avec moi un faux verre. Ça a remarquablement bien fonctionné même s'il a dit que l'eau était dégueulasse. "C'est l'eau de l'hôpital", que je lui fais, et lui du tac au tac : "Chuis peut-être un peu fêlé mademoidame, mais chuis pas un cong" (insérer accent du sud)
Histoire de bonhomme
C'est l'histoire d'un jeune homme de 16 ans qui décide de sortir le soir pour aller boire des binouzes avec ses potos, parce que c'est un grand garçon maintenant, viril et courageux tout ça tout ça ! Alors oui, quand on boit à 16 ans, il peut arriver de se retrouver dans une petite rixe à 1h du matin et se fracasser la guibole sur un trottoir. Alors du coup on finit aux urgences, mais on est un vrai bonhomme, c'est très badass. Alors badass oui, mais badass tout seul non, il faut maman à côté quand même. Oh ? Mais qu'est-ce-que j'entends ? Des pleurs, des cris ? On refuse le traitement ? On supplie sa maman ?
Alors oui, on est un grand bonhomme maintenant, mais les piqûres ça fait peur, vraiment !..
On s'fait un petit golf ?
C'était un patient qui venait parce que son oncle voulait lui faire démonstration d'un smatch avec son club de golf. Alors oui, c'est bien, Tonton, de me montrer à golfer, mais faudrait pas que ma tête devienne la balle... Ça lui a fait une belle entaille juste en-dessous de l'arcade sourcillière, descendant dangereusement près de la paupière, et accessoirement, du globe oculaire. La blessure est profonde, et lors de l'examen neuro, quand je lui demande de suivre mon doigt des yeux, à chaque mobilisation du muscle oculomoteur, on a une petite giclée de sang qui s'échappe comme ça "pfffscht psfffscht".
Résultat : 4 points de suture, un scanner et la conviction de ne plus jamais remettre les pieds sur un terrain de golf.
C'est pas comme ça qu'on pique !
Mes premiers gaz du sang, j'ai eu le malheur de les faire sur un anesthésiste. Autrement dit le mec qui a plus piqué de vaisseaux dans sa vie qu'il n'a respiré. Déjà que j'étais pas rassurée... Je n'ai pas mis de patch EMLA parce qu'il les fallait de suite donc j'ai fait ma tambouille, mon aiguille, ma chlorexidine et mes gants. Après, il a fallu sentir l'artère sous ses doigts.
Alors il faut savoir que quand les experts des gaz du sang t'explique comment piquer une artère, on dirait que plus l'explication est fumeuse et mystique, mieux ça entretient la légende. Apparemment, il faudrait "sentir le trajet de l'artère sous ses doigts, comme la rivière souterraine qui fait trembler la terre autour d'elle de ses ondulations hypnotiques, sentir chaque battement du vaisseau de chair se réverbérer sur tes doigts, pour ne pouvoir enfin faire qu'un avec la pulsation, ainsi tu trouveras dans ton cœur l'exactitude du point de piqûre".
Je sais pas s'ils se sont pris pour des maîtres de Kung-Fu ou Maître Yoda, mais moi j'ai carrément rien bité au tableau. Du coup, je me suis plantée, je lui ai fait mal et il m'a engueulé.
1-0 pour les gaz, balle au centre.
Un semi-esclavage moderne
Juste une liste de petits trucs que bidouillent les externes quand y'a pas trop de monde ou que tout est plein et qu'on peut rien faire d'autre :
- 250 879 567 ECG en une journée : on colle les étiquettes, on met le sang sur le goudron à droite, le soleil sur la prairie à gauche, puis rouge jaune vert marron noir violet, on décolle les étiquettes, on rebranche l'appareil dans le couloir, on s'assoit une demie-seconde et... "Eh ! L'externe ! Fais un ECG au box 8 steup ! Désolé hein !". Merci.
- Les brancardiers ou comment piquer le boulot de ceux qui ont une formation pour ça. Alors askip, "attendre que les brancardiers arrivent ça prend trois plombes, Mr. Machin a mal, flemme de lui faire faire pipi, faut l'envoyer de suite au 12e étage, ils le feront. Bah tiens ! Vous deux là, qui glandez sur les ordis ! - Euuuuuh, on remplit nos observ' là... - Ouais, c'est ce que je dis, vous glandez ! Emmenez-moi ce patient au 12e, vite !"
- Regarder les grands médecins faire des gestes : j'ai vu une Ponction Lombaire (avec les majuscules) faite par un interne très doué, de vrais doigts de fée (au sens propre) : le malade n'a rien senti, c'est magique.
- Faire les tests que personne veut faire : Quick test, Bandelette urinaire, B-HCG, glucose
- Si on a de la chance, faire un plâtre, suturer une narine ou un sourcil, ça c'est vraiment bien, on se sent vraiment utile
- Quand ma co-externe m'a dit : "Est-ce-que le flanc droit ça s'écrit comme le gâteau ?"
- Quand on peut aller manger la bonne bouffe de l'hosto avec des carottes Vichy immondes que personne peut avaler 5 jours sur 7
Les nouveaux internes
Le 1er novembre, c'est le roulement des internes, pour 6 mois. On a donc vu arriver les petits nouveaux, certains qui ont déjà 1 ou 2 semestres d'internat à leur actif et puis ceux qui débutent tout juste. Ils ont 4 mois de vacances de plus que mes co-externes D4, sortent tout frais démoulés de l'ECN et ils ont la tête des 6èmes qui rentrent au collèges. Les narines qui frétillent, les joues roses, les yeux brillants et le coeur qui bat à tout rompre. Je me dis que quand j'y serais, je serais en train de me chier dessus, littéralement. C'est vrai que passer de fin de D4 sans aucune responsabilité à interne où il faut prescrire des médicaments, parler aux familles et être rassurant, devenir quelqu'un qui existe aux yeux des chefs et diriger une petite troupe d'externes complètement noob, ça doit foutre un peu les miquettes.